ARTICLES paru dans UR 10 (Juin 98)
The Strike
Lorsque je suis tombé sur leur CD, j'ai rapidement soupçonné que ce groupe présentait un intérêt particulier... D'abord, une étoile rouge sur la pochette, ça ne passe pas inaperçu au pays de Mickey. Surtout lorsqu'elle vient en support d'un graphisme évoquant lui-même la classe ouvrière. Et puis "The Strike", c'est "l'attaque", mais c'est aussi "la grève". Tout ceci relevait manifestement plus que du simple humour au pays des briseurs de grèves... Il devait y avoir une raison à tout cela, et pour en avoir le coeur net, je me suis procuré la galette. Richard from Chicago
Music
Me plongeant dans l'écoute, j'ai découvert un groupe
musicalement proche des Stiff Little Fingers, et parfois même
des Redskins je dirais. Cela m'a rempli d'aise. Mais là où j'ai
vraiment fait des bonds, c'est en lisant les textes : tableaux de
la lutte des classes et critiques pointues de la société
américaine, mais aussi une chanson magnifique à la gloire des
combattants anti-fascistes de la guerre d'Espagne ("Over
There") et un véritable appel à la révolution
("Never Break"). Plutôt inhabituel pour un groupe
américain ! Plus inhabituels encore, les remerciements à
"tous les red skins, red mods, punks et indésirables de la
sorte" à la fin du livret.
Alors dès que j'ai appris que ne Strike jouait en concert à
Chicago ce premier week-end de mai, je me suis précipité,
chopant au passage un bloc-note, histoire de recueillir leurs
commentaires. Car puisque ce groupe a des choses intéressantes
à dire, autant le faire parler ! Mais d'abord quelques mots sur
le concert. En fait, un seul suffira : époustouflant ! Riffs
serrés, morceaux enchaînés à un rythme effréné, patate
démentielle.., on aurait dit les Clash ! Vraiment. À peine
remis de cette bouffée de bon son, je prends nos sympathiques
agitateurs sous le bras pour leur en faire dire plus, et d'abord
sur le groupe lui-même. Avant tout, dissipons un malentendu
potentiel : The Strike n'a rien à voir avec le groupe du même
nom qui signa jadis quelques morceaux sur une compil' "Skins
& Punks". Ce demier est manifestement anglais et n'a
peut-être jamais foutu les pieds dans le Midwest amerloque. Le
groupe dont je vous cause s'est formé à Minneapolis (à vos
mappemondes !), il y a 5 ans, avec Kristin à la basse (et en
support au mike), Chris à la batterie, son frère Chad à la
guitare et au mike, et Micah à la deuxième guitare. À cette
époque, la scène punk de Minneapolis était en plein revival,
sous l'impulsion des crusty punx. The Strike s'est développé
dans cet environnement porteur, en y insufflant une teinte
politique rouge écarlate. Leur discographie compte trois 45
tours, un premier album "A Conscience Left to Struggle with
Pockets Full of Rust" (celui-là même dont je vous ai
causé plus haut), et quelques titres sur des compilations.
Côté scène, The Strike a pas mal tourné en Amérique du Nord,
mais n'a jamais eu l'occasion de venir jouer en Europe. (Notez
bien que ce n'est pas l'envie qui leur en manque, avis aux
tourneurs !) Actuellement, leur rythme s'élève à 2/3 concerts
par mois, leurs boulots et leurs activités militantes (j'y
reviendrai) ne leur laissant malheureusement pas le loisir de
jouer des masses. Ce fut donc une chance de les voir si
rapidement en concert. Mais il est fort possible que j'aie
l'occasion de les croiser plus souvent à l'avenir, vu qu'ils
sont désormais installés sur Chicago (Lucky me !) sans Micah
toutefois, qui a rejoint le Canada.
Politics
Abordant des sujets plus politiques, je m'attendais bien
à glaner quelques informations propres à m'ouvrir de nouvelles
perspectives sur le pays du roi Dollar. En l'occurrence, je fus
servi. Ils en connaissent un brin, les bougres !
D'abord un point sur le local : pour ma plus grande satisfaction,
Chicago est une ville où les convictions de gauche ont toujours
eu un écho plus que significatif. Cela tient à son passé
industriel, qui a amené des générations d'ouvriers à y vivre,
y travailler, et y lutter. Chicago se souvient notamment du
conflit des usines Pullman, qui eut lieu à la fin du XIXème.
Cela laisse des traces, même si la tendance aujourd'hui consiste
plutôt à virer les ouvriers de la ville pour mettre à leur
place de jolis banquiers. Le charme de la ville y perd, pas le
porte-monnaie du maire...
Sur le plan national, même topo : les ricains n'ont pas toujours
été insensibles à la poésie révolutionnaire. Les mouvements
ouvriers ont été particulièrement puissants à la fin du
XIXème, mais aussi dans les années 1920-1930. Je suppose que la
Dépression y fut pour quelque chose... À vrai dire, je regrette
un peu d'être aussi nul en histoire des États-Unis ! Un brin de
connaissance m'aurait permis de capter un peu mieux tout ce
qu'ils m'ont raconté. Mais j'entends bien me documenter, et cela
me sera d'autant plus facile que Chad m'a indiqué une librairie
où il bosse comme bénévole, et où je pourrai trouver toutes
sortes de publications édifiantes et non-contrôlées par CNN.
Pour en revenir à l'histoire, Yalta et la Guerre Froide ont eu
raison du vent révolutionnaire aux États-Unis. Même si un
groupe comme the Strike joue les Éole de temps en temps,
celui-ci ne souffle plus des masses ici... Certes, il y a des
syndicats. Mais ils sont fragmentés et peu politisés.
Chaque usine, chaque site de travail, peut décider de former son
propre syndicat. Les travailleurs votent pour ou contre la
constitution du syndicat, et la procédure est suffisamment
longue pour permettre au patron d'exercer suffisamment de
pressions pour empêcher une majorité favorable. Quand toutefois
le syndicat se constitue, il agit en général seul et
localement, car il existe très peu d'organes de coordination.
Dans ces conditions, il est bien difficile d'organiser une grève
générale, et c'est cela que nos camarades de the Strike nous
envient ! Quant à l'engagement politique de ces syndicats
américains, il dépasse rarement celui du parti démocrate.
Décevant... Toutefois, il existe des exceptions à la règle.
Par exemple la confédération dans laquelle Chad milite : the
United Brothers Union, qui s'efforce de coordonner l'action des
syndicats des industries électriques.
Dans les universités, il n'existe pas à proprement parler de
syndicats. Plutôt des groupes d'étudiants qui mènent parfois
des actions politiques. Je me renseigne actuellement sur le
sujet, même si le constat de the Strike est un peu amer : les
étudiants américains seraient aujourd'hui plus préoccupés par
la boisson que par la politique. Et c'est vrai que l'on entend
essentiellement parler des beuveries du "springbreak"
(les vacances de printemps pour les universités), sans même que
soit évoqué le passé très politique de ce même springbreak
dans les années 60.
Côté partis, le choix n'est pas large. On notera le DSA :
Democratic Socialist America, qui a laissé de côté toute
conviction révolutionnaire, mais qui présente l'avantage de ne
pas être insignifiant. Bref, tout ceci pour dire que la lutte
pour la justice sociale draine peu les foules ici. Beaucoup moins
que des causes telles que le pacifisme, la protection de
l'environnement ou celle des animaux, qui sont les seules à
mobiliser les masses pour des manifs vraiment dignes de ce nom.
La lutte contre le racisme, quant à elle, est assez vivace. Et
heureusement, car il y a du chemin à faire ! Clinton himself a
montré l'exemple à la télé. Mais je lui préfère l'action de
proximité, comme cette tournée "Ska Against Racism"
qui a fait le tour du pays, histoire de rappeler quelques
vérités premières à la jeunesse américaine. J'en profite
pour glisser quelques mots sur les skinheads du crû. Et d'abord
pour vous préciser que The Strike n'est pas un groupe de
redskins. À leur connaissance, le seul combo redskin aux
États-Unis s'appelle "Those Unknown", et il n'est pas
sûr qu'ils jouent encore. Sinon, aux yeux du grand public, ici
comme en France, skinhead signifie nazi. Et pourtant, il y a un
paquet de skinheads anti-racistes aux États-Unis. Mais ils sont
aussi très patriotes en général. Cela prête parfois à
confusion, et leurs faits et gestes sont parfois ambigus. C'est
notamment ce qu'on dit d'Oxblood, malgré la présence d'un black
dans le groupe.
Keep Fighting !
Tel est le message que The Strike souhaite adresser
outre-atlantique, à tous ceux qui luttent pour plus de justice
sociale. Nos combats en France, et en Europe, restent un exemple
pour eux. Si l'envie vous prend de rentrer en contact avec eux,
pour dialoguer ou simplement leur transmettre vos encouragements,
le plus simple est de leur envoyer un e-mail à l'adresse
suivante : vespass180@aol,com. Il n'est pas impossible également
que vous puissiez trouver leurs galettes chez les disquaires en
France. Ils sont en effet distribués par une boîte qui est
censée envoyer leurs disques un peu partout dans le monde. Ça
peut donc valoir le coup de jeter un coup d'oeil, surtout que la
sortie d'un second album est prévue pour la fin de l'année.
Check it out !
Woua c'te claque ici chez nous