ARTICLES paru dans UR 07 (Mars 98)

Un autre Rap en France

J'aimerais que cet article soit une porte vers le Rap que beaucoup de neusks méprisent. On a rien à apprendre des rappeurs bouffons ou des boys bands genre 2B3, mais à cause d'eux doit-on rester sourd aux cri de la misère qui gangrêne la jeunesse en général et nos banlieues en particulier ?

Depuis son émergence en France au début des années 80, ce nouveau genre musical, qu'est le Rap acquière une certaine notoriété. Il suffit d'écouter les radios FM et de regarder autour de soi pour se rendre compte à quel point le rap a acquis une influence sur les jeunes malheureusement bien loin de la pensée originelle sous jacente des premiers rappeurs. Autour de lui s'est créé toute une culture, celle du hip-hop, et cela montre comment il s'est ancré dans notre société.

Né aux Etats Unis dans les ghettos de Los Angeles et de New York (Remember the Last Poets ! NdD) le rap est l'expression d'un malaise social, celui des minorités exclues de la société de consommation US et en particulier celui des jeunes noirs rejettés du monde du travail. Quoi de moins étonnant, alors, que ce soit sur un fond culturel noir américain que le rap ait émergé (pour un rappel sémantique, "To rap", en anglais, signifie, grosso modo, débiter un flot de parole sur un rythme cassé).

Tout commes ses ancètres, le Jazz, le Blues, le Reggae, le Ska (et oui ! un peu ...), le Rap est un moyen pour les jeunes désoeuvrés de dénoncer et d'affronter leurs problèmes de la vie qutidienne dans les pays du capitalisme triomphant. Cela s'apparente un peu en France à la bonne tradition des poètes de rue; un groupe de rappeurs de Seine Saint-Denis (93) s'appelle d'ailleurs Les Sages Poètes De La Rue, tout se retrouve.
Les problèmes que dénoncent les rappeurs sont ceux qu'ils vivent tous les jours dans les cages d'escalier où ils galèrent alors qu'ils sont exclus de tout. L'ennui, le désoeuvrement, la misère, la drogue, le racisme (notamment dans le monde du travail), le contrôles au faciès, les bavures policières et l'absence de considération et de perspectives autres que le bizness et les barreaux de prisons, la justice de classe, ... Tous ces éléments sont présents dans les chansons de rappeurs (et dans le Ska) qui sont de véritables cocktails Molotov jettés à la face de la société capitaliste française.

Malheureusement ces cocktails explosent plus souvent dans les banlieues populaires que dans le 16° arrondissement de Paris ou sur les Champs Elysées. Il suffit d'une toute petite étincelle et le feu prend vite et parfois là où on ne l'attend pas. Souvenez vous aussi de Makomé, ce jeube ivoirien de 18 ans abattu d'une balle dans la tête par l'inspecteur Compain dans le comissariat du 18° dont le maire, à l'époque n'était autre que M. Juppé (et tant de morts depuis...). A tout ceux qui n'ont jamais fait la demarche d'écouter du rap, je conseillerais de prendre leur courrage à deux mains et de regarder plus haut que leur nombril.
Le Rap n'est pas une musique getho, loin s'en faut ; car les rappeurs sont très créatifs, beaucoup de groupes existent, certains font du Rap conscient conforme à l'idée originelle du Rap revendicatif politisé et s'autoproduisent (Assassin, Kabal, ...) d'autres font du rap-ragga-slackness, c'est à dire violent et insultant. ET, malheureusement, il y a des groupes commerciaux qu'on doit dénoncer car ils donnent une image déformée du rappeur tels les Doc Gynéco, Stormy Bugsy et autres bouffons qui ponctuent leurs chansons par des "Bitch" (traduire "salope" quand ce n'est pas "ma salope à moi"). Malheureusement ces groupe ont l'aval des grands producteurs comme Virgin ou Barclay et pour cause, le Rap est devenu une mode donc une source de profits. Ils sont conscients que les vrais groupes de Rap les menacent directement ; une jeunesse qui réfléchit et remet en cause la société c'est dangereux. Il faut alors, se disent-ils, les détourner de cette radicalité dangereuse pour leur buisness.
C'est dès lors normal que ces rapaces dévoient l'image du rappeur en un bouffon faisant plaisir à quelques petits bourgeois qui cherchent à s'encanailler ... Il est facile de pourrir l'esprit de la jeunesse par les ondes, ainsi on ne remet pas en cause le pacte capitaliste sur lequel repose la société. Il n'y a alors rien de surprenant à voir les disques de NTM (fuck your mother, Nique Ta Mère) chez les petits de bourgeois du 16° car ça fait "in" (lire "innnn"), "banché quoa"d'écouter du NTM à Passy dans les boum du samedi soir. Ah ! tristes gens !!! Quelle consternation ! Si, si, cela je l'ai vu de mes propres yeux, je vous le jure (drôle de fréquentations que j'ai, hein ?!?).

Autre point, le Rap n'a pas seulement ce côté revendicatif, il a aussi de valeurs unificatrices qui sont pêle-mêle PEACE, LOVE, UNITY and HAVING FUN. Ca ne vous rappelle rien ça ? Vraiment ?? Cherchez ... Eh oui ! la période baba-cool styme voyage à Katmandoui où à la Jamaïque deBob Marley (j'aurais bien voulu voir le Grateful Dead coursé par les Rude-boys de Kingston, NdD), comme quoi on a rien inventé.
Ainsi, comme aux Etats Unis, à mêmes problèmes, mêmes effets excepté les émeutes du type de celles de Los Angeles de 1990 après le passage à tabac de Rodney King, conducteur noir, par des policiers blancs.

Comme dirait le cousin Hub de "La Haine" : "jusqu'ici tout va bien !"

Quelques disques à t'écouter : ASSASSIN "l'écrit contre l'oubli" (dernier album), KABAL, KOMA, DIFFERENT TEEP, 2 BAL 2 NEG, Compilations RAPPATTITUDE, HOSTILE HIP-HOP I, la BO du fim "Ma 6_T va Craker", la BO du film "La Haine". Pour lutter contre la deferlante des dignes héritiers de Dorothé, en la personne des 2B3 et autres Spice Girls, ecoutez du RAP. Demain nous appartient ! Fini le temps des oppresseurs, passe la main aux oppréssés, chaud devant.

Ali Red 95.